LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 17 décembre 2021 par le Conseil d'État (décision n° 456741 du 14 décembre 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la commune de la Trinité par Mes Simon Daboussy et Aude de Prémare, avocats au barreau de Nice. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-982 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 ;
- la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la commune requérante par Mes Daboussy et de Prémare, enregistrées le 10 janvier 2022 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour la commune d'Aspremont et autres par Me Thibault Pozzo di Borgo, avocat au barreau de Nice, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour la commune de Beaulieu-sur-Mer et autres par Me Martin Tissier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la commune requérante par Mes Daboussy et de Prémare, enregistrées le 20 janvier 2022 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me de Prémare, pour la commune requérante, Me Tissier, pour la commune d'Aspremont et autres, Me Pozzo di Borgo, pour la commune de Beaulieu-sur-Mer et autres, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 mars 2022 ;
Au vu des pièces suivantes :
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 11 mars 2022 ;
- la note en délibéré présentée pour la commune requérante par Mes Daboussy et de Prémare, enregistrée le 14 mars 2022 ;
- la note en délibéré présentée pour la commune de Beaulieu-sur-Mer et autres par Me Tissier, enregistrée le 15 mars 2022 ;
- la note en délibéré présentée pour la commune d'Aspremont et autres par Me Pozzo di Borgo, enregistrée le 15 mars 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe IV de l'article 16 de la loi du 28 décembre 2019 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2020 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe IV de l'article 16 de la loi du 28 décembre 2019, dans cette rédaction, prévoit :
« A.- Pour chaque commune, est calculée la différence entre les deux termes suivants :
« 1° La somme :
« a) Du produit de la base d'imposition à la taxe d'habitation sur les locaux meublés affectés à l'habitation principale de la commune déterminée au titre de 2020 par le taux communal de taxe d'habitation appliqué en 2017 sur le territoire de la commune ;
« b) Des compensations d'exonération de taxe d'habitation versées en 2020 à la commune ;
« c) De la moyenne annuelle des rôles supplémentaires de taxe d'habitation sur les locaux meublés affectés à l'habitation principale émis en 2018, 2019 et 2020 au profit de la commune ;
« 2° La somme :
« a) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit du département sur le territoire de la commune ;
« b) Des compensations d'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties versées en 2020 au département sur le territoire de la commune ;
« c) De la moyenne annuelle des rôles supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2018, 2019 et 2020 au profit du département sur le territoire de la commune.
« B.- Pour chaque commune, est calculé un coefficient correcteur égal au rapport entre les termes suivants :
« 1° La somme :
« a) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit de la commune ;
« b) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit du département sur le territoire de la commune ;
« c) De la différence définie au A du présent IV ;
« 2° La somme :
« a) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit de la commune ;
« b) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit du département sur le territoire de la commune.
« C.- À compter de l'année 2021 :
« 1° Pour chaque commune pour laquelle la somme mentionnée au 2° du A excède de plus de 10 000 € celle mentionnée au 1° du même A, le produit de taxe foncière sur les propriétés bâties versé à la commune est égal à la somme :
« a) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis au profit de la commune au titre de l'année multiplié par :
« - le rapport entre, d'une part, la somme des taux de taxe foncière sur les propriétés bâties communal et départemental appliqués sur le territoire de la commune en 2020 et, d'autre part, le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties de la commune appliqué au titre de l'année ;
« - et le coefficient correcteur défini au B ;
« b) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis au profit de la commune au titre de l'année multiplié par le rapport entre :
« - la différence entre le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties de la commune appliqué au titre de l'année et la somme des taux de taxe foncière sur les propriétés bâties communal et départemental appliqués sur le territoire de la commune en 2020 ;
« - et le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties de la commune appliqué au titre de l'année.
« c) De la compensation afférente à la taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au 2 du A du III de l'article 29 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 multipliée par le coefficient correcteur défini au B du présent IV diminué de 1.
« Lorsque la somme des montants obtenus aux b et c du présent 1° est négative, elle s'impute sur les attributions mentionnées à l'article L. 2332-2 du code général des collectivités territoriales ;
« 2° Pour chaque commune pour laquelle la somme mentionnée au 1° du A excède celle mentionnée au 2° du même A, le produit de taxe foncière sur les propriétés bâties versé à la commune est majoré d'un complément. Ce complément est égal à la somme :
« a) Du produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis au profit de la commune au titre de l'année multiplié par :
« - le rapport entre, d'une part, la somme des taux de taxe foncière sur les propriétés bâties communal et départemental appliqués sur le territoire de la commune en 2020 et, d'autre part, le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties de la commune appliqué au titre de l'année ;
« - et le coefficient correcteur défini au B diminué de 1 ;
« b) De la compensation afférente à la taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au 2 du A du III de l'article 29 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 multipliée par le coefficient correcteur défini au B du présent IV diminué de 1.
« 3° La différence, au titre d'une année, entre le produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis au profit d'une commune et le produit versé à cette commune en application du 1° du présent C est affectée au financement du complément prévu au 2° au titre de la même année.
« D.- Pour l'application du 2° du A et des B et C aux communes situées sur le territoire de la métropole de Lyon :
« 1° La référence au produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit du département sur le territoire de la commune est remplacée par la référence au produit net issu des rôles généraux de la taxe foncière sur les propriétés bâties émis en 2020 au profit de la métropole de Lyon sur le territoire de la commune, multiplié par le rapport entre le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties appliqué sur le territoire de la commune en 2014 au profit du département du Rhône et le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties appliqué sur le territoire de la commune en 2020 au profit de la métropole ;
« 2° Les références aux compensations versées aux départements et aux rôles supplémentaires émis au profit des départements sont remplacées par les références aux compensations versées à la métropole de Lyon et aux rôles supplémentaires émis au profit de la métropole, multipliés par le rapport entre le taux appliqué en 2014 au profit du département du Rhône et le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties appliqué sur le territoire de la commune en 2020 au profit de la métropole de Lyon.
« E.- Pour les communes issues de fusion ou de scission de commune, les coefficients mentionnés aux B et C sont déterminés, à compter de l'année au cours de laquelle la fusion ou la scission prend fiscalement effet, selon les modalités prévues au B.
« F.- Les dispositions des A à E du présent IV ne s'appliquent pas à la Ville de Paris.
« G.- Un abondement de l'État visant à équilibrer le dispositif prévu aux A à F est institué. Il est constitué :
« 1° D'une fraction des produits des prélèvements résultant de l'application aux taxes additionnelles à la taxe foncière sur les propriétés bâties de l'article 1641 du code général des impôts ;
« 2° D'une fraction des produits résiduels, après application de l'article 41 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, des prélèvements résultant de l'application à la cotisation foncière des entreprises du d du A du I et du II de l'article 1641 du code général des impôts ;
« 3° D'une fraction des produits résiduels, après application de l'article 41 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 précitée, des prélèvements résultant de l'application à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises du XV de l'article 1647 du code général des impôts.
« Pour constituer l'abondement, il est recouru à titre principal au produit mentionné au 1° du présent G et, à titre subsidiaire, aux produits mentionnés au 2° puis au 3°.
« L'abondement est égal à la différence entre le montant total des compléments prévus au 2° du C et le montant total des différences calculées en application du 3° du même C.
« H.- Une évaluation du dispositif de compensation prévu au présent IV est réalisée au cours du premier semestre de la troisième année suivant celle de son entrée en vigueur.
« En vue de cette évaluation, le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er mars de cette même année, un rapport qui présente les effets du dispositif de compensation prévu au présent IV, notamment :
« 1° Les conséquences sur les ressources financières des communes, en distinguant les communes surcompensées et sous-compensées, et sur leurs capacités d'investissement ;
« 2° Les conséquences sur les ressources financières consacrées par les communes à la construction de logements sociaux ;
« 3° L'impact sur l'évolution de la fiscalité directe locale et, le cas échéant, les conséquences de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation ;
« 4° L'impact sur le budget de l'État ».
3. La commune requérante, rejointe par les parties intervenantes, reproche à ces dispositions de ne pas compenser intégralement la perte de ressources induite par la suppression de la taxe d'habitation, faute d'intégrer, au titre des ressources à compenser, le produit de la part de taxe d'habitation directement perçu par un syndicat de communes sur option de ses membres.
4. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les communes dont la contribution à un syndicat de communes prend la forme de l'affectation du produit d'une part de leur taxe d'habitation, et les autres communes, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi fiscale.
5. Il en résulterait également, au regard de la perte de ressources pour certaines communes, une méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le a du 1° du A du paragraphe IV de l'article 16 de la loi du 29 décembre 2019.
7. Les communes intervenantes font valoir, pour les mêmes motifs, que ces dispositions méconnaîtraient en outre le principe d'égalité devant les charges publiques.
- Sur le fond :
8. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
9. En application de l'article L. 5212-20 du code général des collectivités territoriales, un syndicat de communes est financé par une contribution obligatoire versée sous la forme soit d'une dotation budgétaire de la commune associée, soit d'une contribution fiscalisée résultant de l'affectation d'une part du produit d'impôts locaux, dont celui de la taxe d'habitation. Dans ce dernier cas, le paragraphe III de l'article 1636 B octies du code général des impôts prévoit que le produit à recouvrer dans la commune est réparti entre ces impositions proportionnellement aux recettes que chacune procurerait à la commune en appliquant les taux de l'année précédente aux bases de l'année d'imposition.
10. L'article 16 de la loi du 29 décembre 2019 prévoit la suppression progressive de la taxe d'habitation due au titre de la résidence principale pour tous les contribuables à compter de 2023. Afin de compenser cette suppression pour les communes, il leur transfère la part de taxe foncière sur les propriétés bâties antérieurement perçue par les départements. Il institue également un mécanisme correcteur pour que le produit ainsi transféré corresponde au montant du produit de la taxe d'habitation perdu par chaque commune.
11. Les dispositions contestées prévoient que, pour déterminer ce montant, le mécanisme correcteur prend en compte le produit de la taxe d'habitation sur les résidences principales perçu par chaque commune, calculé en appliquant à la base imposable constatée en 2020 le taux communal de taxe d'habitation de 2017.
12. Il résulte des travaux parlementaires que, en instaurant ce mécanisme correcteur, le législateur a entendu compenser intégralement le produit de la taxe d'habitation perdu par les communes et assurer ainsi que la suppression de cette taxe ne se répercute pas sur d'autres impôts locaux au détriment du pouvoir d'achat des contribuables communaux que la réforme visait à améliorer par cette suppression.
13. Or, en prévoyant que le produit de la taxe d'habitation à compenser à une commune est déterminé par l'application de son taux communal à la base imposable, les dispositions contestées n'incluent pas le produit de la part de taxe affecté au syndicat de communes au titre de sa contribution lorsque la commune a choisi de financer le syndicat par une contribution fiscalisée.
14. Ainsi, ces dispositions ont pour effet de priver les seules communes qui affectaient une part de leur taxe d'habitation à un syndicat de communes du bénéfice d'une compensation intégrale de la taxe d'habitation levée sur leur territoire. Il en résulte que ces communes doivent contribuer au financement du syndicat soit au moyen d'une dotation budgétaire, soit par l'augmentation du montant des autres impositions acquittées par le contribuable local et affectées au syndicat, en méconnaissance pour ces communes et pour leurs contribuables de l'objectif poursuivi par le législateur.
15. Dès lors, compte tenu de cet objectif qu'il s'est assigné, le législateur a méconnu, par les dispositions contestées, le principe d'égalité devant les charges publiques. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, ces dispositions doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
16. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
17. D'une part, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
18. D'autre part, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le a du 1° du A du paragraphe IV de l'article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 17 et 18 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 mars 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Alain JUPPÉ, Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 17 mars 2022.